LA PURETÉ MILITANTE
Ou comment l'indifférence tend à devenir une norme politique en occident
A toustes mes camarades dans la lutte partout dans le monde
Nous vivons un moment des renversements, un instant où se fissure ce que j’appelle avec d’autres nos “bases éthiques”. La dissonance entre nos vies quotidiennes des plus banales et l’habituation d’un génocide en 4K par écran depuis bientôt deux ans ont rendu caduque les principes fondamentaux de la culture occidentale. Principe des lumières, principe de respect de la liberté, principe du respect d’autrui. Ou du moins avons-nous pris conscience du mensonge occidental de progrès. En effet quand on vit dans un pays du sud global ravagé par les guerres initiées par les puissance occidentales mondiales, la colonisation, l’appauvrissement des ressources fondamentales tel que l’eau pour que Manon ou Sebastien puissent boire le verre de Coca Cola en terrasse, on sait très bien que le principe de législation universelle est celui du meurtre, du viol, du génocide, de l’incarcération, de la déshumanisation. Il n’y a que l’occident qui a été dupe pendant trop longtemps. il serait d’ailleurs plus exact de dire que l’occident a construit cette duperie que ce soit de façon active ou passive, c’est la base même de la civilisation occidentale et la construction d’un grand mensonge; celui du progrès. Walter Benjamin le disait déjà dans son thèses sur le concept d’histoire “tout document de culture est un document de barbarie” Le barbare n’est pas celle ou celui qui menacerait d’envahir, de grand remplacer notre civilisation. Le barbare c’est ce qui caractérise même la civilisation. La civilisation pose ses frontières, la civilisation pille et tue pour sa propre survie et ses intérêts. La civilisation recycle les éternels même mensonge pour justifier l’injustifiable. C’est nous qui sommes les barbares, les terroristes et les manipulateurices.
Le voile s’est déchiré le 7 octobre. On pourra dire ce qu’on veut sur les attaques de force de résistance palestiniennes, de leur non légitimité ou non mais le 7 octobre a replacé la Palestine au centre et a montré la vérité crue d’un monde dans lequel nous nous sommes beaucoup trop longtemps prélassées au détriment de la vie d’autrui. La civilisation c’est ce que le philosophe décolonial Enrique Düssel appelle “l’occultation de l’autre” (livre entier ici) mais le progrès technique dont nous nous vantons s’est retourné contre nous, le même progrès technique qui permet aux drones de massacrer des civil·es a permis de nous montrer l’ampleur de l’horreur : des vidéos d’enfants en sous nutrition, des photos d’hommes humiliés nus, des femmes qui brandissent des morceaux de corps en hurlant de larme et de rage, des colons qui n’ont même pas besoin de la dissonance pour se justifier car pour elleux “tuer des arabes c’est sain”. Nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas. Mais c’est être trop optimiste vis à vis du dressage mental que l’occident a intégré que de dire que la prise de conscience a été effective. Elle a crée un vide, une aporie, un trou dissonant. Comment peut-on marcher sur des cadavres ? Et bien il suffit de ne pas regarder. Et quand je parle de ne pas regarder c’est pas ne pas voir, c’est ne pas prendre partie dans le regard, c’est ne pas se déterminer face au génocide et notre responsabilité face à l’horreur qui est toujours en cours.
Et depuis le 7 Octobre tout s’est accéléré. J’aurais d’ailleurs tendance à dire que ça a été un coup d’envoi de l’organisation fasciste globale. L’organisation internationale est urgente. Le COVID a été un prélude, maintenant c’est notre capacité d’agir qui est en danger. L’indignation face au confort de la pensée libérale qui distribue les bons et les mauvais points, qui juge de ce qui est problématique et qui félicite les visibilités même si elles sont complices de la barbarie devrait être automatique. Un écran de verre a sauté. La parole d’autorité des influenceur.ses, essayistes etc sur les réseaux est de plus en plus remise en question, les biais sont exposés. La critique dénonce la supercherie morale de la bourgeoisie. Et la critique aujourd’hui est antiraciste, décoloniale, queer, trans, intersexe, non valide, etc … C’est une critique de tout ce qui est à la marge. Les cartes sont arrachées aux mains de celles et ceux à qui la bourgeoisie donne la parole. Les conflits s’épaississent et le chantage à l’agression ne prend plus ni celui à la sororité pour les féministes. On parle encore de harcellement quand quelqu’un.e critique le propos biaisé d’un.e tel.le mais la sauce ne prend plus vraiment. Celles et ceux qu’on a gaslighté depuis toujours ne veulent plus rester dans la salle, veulent éteindre les lumières de l’insouciance. Nous ne sommes plus des enfants à qui on raconte des mensonges pour mieux nous endormir. Les monstres existent puisque nous le sommes dans le regard de l’enfant palestinien contraint à manger du sable parce que le sac de farine coûte plus de 400 euros. Les monstres cis existent puisque la chasse aux trans permet de les incarcérer et de réguler les prisons en offrant en pâture les femmes trans aux détenus hommes cis pour les violer, ça s’appelle le V coding. Les monstres dyadiques existent puisque la mutilation des enfants intersexes existe toujours. Les monstres blanc.hes existent toujours puisque désormais la police peut rafler des immigré.es et encourager la délation. Et la morale bourgeoise déteste qu’on la renvoie à sa propre violence. C’est pourquoi depuis peu bon nombres de post qui prétendent dénoncer la “pureté militante” fleurissent. Bien entendu la bourgeoisie libérale relaie ce discours puisque l’idée de supériorité morale convient très bien à leur logiciel et puis permet encore et toujours de reléguer le problème à l’individu et pas au collectif.
Or être militant.e déjà, ce n’est pas être pur. Être militant.e c’est avoir conscience de la salissure des choix qu’on doit faire, de là où on se focalise parce que bien évidemment seul.e on ne peut pas prétendre à une compréhension totale et globale. 'C’est ce que Rose Lamy semble dire dans les extraits du caroussel du magazine Gaze, dont le prochain numéro “L’art de décevoir” (sic) promet “on exige de moi de prendre position sur tous les sujets.” Qui est ce “on” ? J’ai intervenu plusieurs fois sur des contenus dits féministes qui ne parlent ni du racisme ni de la question trans alors qu’en 2025, ère de Trump, Orban et consorts, ces sujets devraient être centrale. On exige d’une certaine manière une réelle intersectionnalité parce que l’intersectionnalité de façade est complice du pouvoir en place à la lisière de la lisière du fascisme. Chaque parole nous engage en tant que collectif. On doit être responsable face à ses mots. Quand Rose Lamy dans une interview dans Libé dit que lorsque on se moque de la bêtise de Bardella, c’est un peu elle qu’on attaque aussi, et bien c’est tout simplement ignorer les personnes qu’elle engage dans cette déclaration: les personnes racisé.es, les trans, les queers etc et c’est criminel. Être militant.e n’a rien de pur parce qu’on fait des choix politiques selon là où on milite. Quand on milite pour la Palestine et qu’on veut militer efficacement pour la Palestine, on ne peut pas intégrer tous les pays génocidés en même temps (discours de culpabilisation préféré des sionistes) et on en est conscient.es, on est conscient de la salissure. J’ai beau être en très grand désaccord avec Houria Bouteldja sur beaucoup de choses mais je suis d’accord avec elle sur un point: militer c’est se salir les mains et prendre conscience de sa propre salissure et de notre participation à la grande dégueulasserie. Qui a un minimum de culture concernant l’histoire du militantisme sait que le militantisme n’a absolument rien de pure.
Mais c’est aussi un symptôme du néolibéralisme de voir les choses ainsi parce que tout acte politique pour la pensée de gauche libérale blanche est vu comme du développement personnel. Ainsi durant les JO 2024 on a pu voir des post instagram comme celui de Tann Polyvalence nous dire que c’était OK d’aimer la cérémonie d’ouverture des JO et de la regarder tout en ayant conscience de la violence étatique répressive qu’a nécessité la mise en place des jeux olympiques à Paris. Comme si la prise de conscience pouvait se déconnecter de la situation, comme si on pouvait fabriquer une forme d’indifférence pour pouvoir se divertir et jouir sans entrave sur Aya Nakamura qui chante Edith Piaff, Leslie Barbara qui visibilise son corps gros dans un banquet aux côtés de Philippe Katherine pendant que dans le public Benjamin Netanyahu se tenait à côté de Emmanuel Macron, sur les athlétes lesbiennes qui s’entrainent à la Villette pendant que les femmes trans et les femmes voilées étaient interdites de compétition. Puisque tout est finalement une histoire de confort, de bien être et de self care, celles et ceux qui viennent perturber notre plaisir ou notre mollesse, celles et ceux qui viennent dénoncer notre forme d’indifférence performent une pureté militante parce que “au final, c’est facile de dénoncer quand on est assis.es confortablement dans son canapé, ça ne demande pas grand chose.” ai-je déjà lu dans mes dm quand je m’indignais face à une énième indigence libérale dont je n’ai plus le souvenir tellement j’en lis quotidiennement … Ok d’accord mais si c’est si facile, si c’est tant une position de privilège pourquoi ne le faites vous pas aussi ? A vous entendre il n’y a aucun risque de dénoncer le régime de construction de l’indifférence. Vous savez très bien que ce n’est pas vrai et c’est pour cela que Rose Lamy peut dire en toute détente dans son itw à Gaze magazine que être radical c’est une position de privilège. On dira ça aux camarades en GAV, aux professeur.es suspendu.es parce qu’iels parlent de génocide dans les classes, aux militant.es de Sainte Soline mutilés, aux militant.es de Black Lives Matter asssassiné.es, aux civil.es palestinien.es qui se font massacrer parce qu’iels refusent de quitter leur terre, etc … au final on dira ça à toustes les militant.es dans l’histoire des luttes qui ont risqué leur vie par refus de l’ordre des choses. Militer n’a jamais été un jeu et notre radicalité nous met consciemment en danger, particulièrement dans cette ère de la surveillance globale.
Je ne suis pas pure. Mais ce que j’essaie d’être, comme beaucoup de camarades, c’est d’être intègre. Je me dirais volontiers militante intégriste radicalisée à la cause anticapitaliste si ça ne prêtait pas à rire, si la répétition actuelle n’était pas la pire des farces en jeu. J’ai parlé avant d’un renversement des valeurs Je voudrais faire maintenant un geste de renverser ce qui est renversé et rattacher à nouveau la question au collectif et à l’appel éthique de ce que ça implique. Parce que si les valeurs éthiques de l’hégémonie occidentale ont sauté, les principes éthiques militants eux restent intact et voire se mettent à jour à mesure que nous comprenons les enjeux des luttes globales à venir. Je m’inscris dans ce que le militant confondateur de la ligue communiste révolutionnaire Daniel Bensaïd appelait en paraphrasant Karol Modzelewski la loyauté envers les inconnu.es. Militer implique un collectif. On ne peut pas dire tout et n’importe quoi parce qu’à chaque fois dans nos paroles il y a une implication politique qui engage les autres, c’est cela ce que veut dire Daniel Bensaïd par loyauté. Militer nous appelle à l’éthique et non pas à une morale de la pureté. Et il y a beaucoup d’inconnus qui aujourd’hui nous appelle.. Militer c’est savoir prendre conscience par exemple que le capitalisme ne nous laissera pas gagner de façon pacifique après avoir regardé le documentaire de Naomie Klein “la stratégie du choc” et particulièrement toute la séquence sur la répressions et l’assassinat des militant.es communistes sous le régime de Pinochet. Militer c’est avoir une connaissance de la mémoire, de l’histoire, c’est lire, se renseigner et apprendre en dehors de ce que les paresseuxses appellent l’élitisme parce que encore une fois, lire un livre sur le racisme et ses mécanismes lire un livre sur l’histoire des trans c’est pas pour soi, c’est pour être efficace, savoir quoi répondre et objecter à cette indifférence qui tend à devenir la norme politique en occident. Et c’est pas refuser de se faire plaisir en lisant autre chose, en regardant une série etc mais c’est dénoncer quoi qu’il en soit l’ordre des choses. Car c’est tout ou rien et le rien n’est pas envisageable. Oui à l’intégrité politique militante qui refuse la barbarie de la civilisation occidentale. Non à l’indifférence du “c’est ok”. Rien n’est ok et comme Gramsci, je HAIS LES INDIFFERENT.ES
crédit photo : Sculpture de l’artiste plasticienne Kara Walker Fons Americanus